Liaisons de données des drones : le compromis permanent

Le pilotage des drones et le retour des données enregistrées par les capteurs vers le pilote et les utilisateurs nécessitent de disposer de liaisons radio adaptées en mesure d’assurer le débit de données nécessaire sur toute l’élongation du drone. En effet, que ce soit en reconnaissance tactique ou en attaque, le drone et ses capteurs doivent pouvoir être pilotés en temps réel. Plus que jamais la réactivité est le maître-mot du champ de bataille moderne qui est toujours plus fluide et plus connecté. En conséquence, les moyens de communication des drones doivent répondre à ces enjeux et assurer rapidité et volume de données. Ces exigences, en plus de celles de la portée radio, dimensionne directement les gammes de fréquences qui peuvent être utilisées.

Les contraintes réglementaires

Les drones civils se voient réglementairement contraints dans l’utilisation des fréquences et de la puissance pouvant être émise. Ainsi, les fréquences qui peuvent être légalement utilisées en Europe doivent être soit des fréquences « libres » soit des fréquences spécifiquement autorisées pour cet usage. On retrouve donc les fréquences historiquement utilisées pour le radio modélisme (26 MHz, 41 MHz et 72 MHz), théoriquement les bandes de fréquences libres autour de 169 MHz, 433 MHz, 860 MHz, les bandes Wifi à 2,4 et 5 GHz ainsi que les nouvelles bandes allant de 5955 à 6416 MHz (Europe, Russie…) ou 7115 MHz (USA, Canada…) pour le Wifi 6E encore peu utilisées (à ce jour aucun drone n’utilise cette dernière bande de fréquence). On notera que les puissances d’émissions autorisées sur les fréquences au-dessus de 5 Ghz sont particulièrement faibles et limitées à 25 mW.

On constate que les fréquences utilisables sont très majoritairement en dessous de 6 GHz. Cela tient autant à des considérations réglementaires (en dehors des nouvelles fréquences attribuées pour le Wifi 6E, l’usage des fréquences au-dessus de 6 GHz est beaucoup plus réglementé) qu’au fait que les prix du matériel radio-fréquence sont généralement plus élevés. Ceci s’explique par le fait que la plupart des applications civiles (radio, TV, téléphonie mobile, Wifi…) fonctionnent en dessous de cette fréquence et que donc l’effet de volume a joué à plein sur le développement des composants électroniques. Néanmoins techniquement parlant, rien n’interdirait à ce que des drones utilisent des fréquences au-dessus de 6 Ghz pour leurs liaisons de données. A certains égards, cela présenterait même certains avantages.

Les avantages d’utiliser des fréquences au-dessus de 6 Ghz

D’un point de vue purement physique, plus on utilise des fréquences élevées et plus le débit de données peut être important. Le débit potentiel théorique d’une liaison de données est directement proportionnel à la longueur d’onde. De manière empirique, on peut l’expliquer par le fait que plus une longueur d’onde sera petite (fréquence élevée) et plus on pourra mettre d’informations dans le même laps de temps. C’est comme vouloir remplir un récipient avec des billes ; plus les billes seront petites et plus on pourra en mettre dans le même récipient. Bien sûr, en pratique, il y a bien d’autres aspects qui rentrent en ligne de compte comme le type de modulation du signal qui permet d’optimiser les débits (cela revient à changer le volume du récipient de l’exemple précédent) mais à modulation identique, plus on augmentera la fréquence et plus ceux-ci seront élevés.

Par exemple, à mesure que les caméras utilisées sur les drones sont de plus en plus performantes avec des résolutions toujours plus élevées, il apparaît logique de vouloir utiliser des fréquences de plus en plus hautes afin de bénéficier de la qualité d’image maximale avec le temps de latence le plus bas possible. Néanmoins, les choses ne sont pas si simples et d’autres aspects physique des ondes rentre en ligne de compte.

Les limitations physiques des fréquences

Le comportement physique des ondes électromagnétiques radiofréquence n’est pas le même en fonction de la fréquence et il n’est pas linéaire non plus. Cela signifie qu’il y a des gammes de fréquences qui se propagent mieux que d’autres, c’est-à-dire qui subissent un taux d’absorption atmosphérique (ce qui se traduit également par la sensibilité aux conditions météorologiques) plus faible et qui peuvent donc porter plus loin à puissance identique.

Au vu du graphique ci-dessus, on constate que de manière générale, le taux d’absorption atmosphérique augmente avec les fréquences de manière relativement régulière, mais néanmoins exponentielle (l’échelle est logarithmique) jusqu’à 10 Ghz. Au-delà, cela augmente de manière encore plus importante avec de très fortes variations à la baisse sur certaines plages de fréquence. En conséquence, on se rend bien compte que plus on utilisera des fréquences élevées et plus la portée de liaison radio sera limitée sauf à devoir augmenter la puissance d’émission de manière exponentielle.

Un autre paramètre limitant est que dans le domaine radio fréquence, plus la fréquence augmente et plus la capacité de pénétration des ondes dans la matière diminue. En clair la capacité des ondes radio à traverser un mur diminue à mesure que la fréquence augmente. En conséquence, choisir une fréquence trop élevée réduit considérablement les distances exploitables puisque le moindre obstacle sera rédhibitoire. Cela limite l’utilisation des drones à la ligne de vue directe avec la télécommande ce qui contraint énormément les champs d’application. L’utilisation d’une puissance d’émission élevée pour compenser, en partie, cette faiblesse de portée engendrerait un supplément de masse (consommation électrique supérieure) et serait bien peu discret électromagnétiquement pour les systèmes de guerre électronique.

On constate donc que plus la fréquence augmente et moins la portée de télécommande des drones sera élevée à puissance et à la consommation électrique identique.

Le compromis entre débit et portée

Comme on peut le voir, il y a un compromis à trouver entre l’élongation que l’on désire d’une liaison radio et le débit de données que l’on souhaite. Tout ceci dimensionne les gammes de fréquences utilisées et ce n’est pas un hasard si beaucoup de drones se retrouvent à utiliser des gammes de fréquences identiques.

Si on reprend les gammes de fréquences libres et dédiées utilisables par les drones civiles, on comprend pourquoi c’est la bande Wifi des 2,4 GHz qui est la plus utilisée. C’est cette bande qui offre le meilleur compromis entre portée et débit. La bande des 5 GHz est parfois disponible en doublon pour les distances plus courtes afin d’optimiser les flux descendant (vidéo 4k par exemple) mais les portées sont faibles. Les drones utilisant la bande des 900 MHz de 433 MHz sont plus rares, car si cela permet de gagner en élongation, la qualité du flux de données doit être un peu sacrifié compte tenu de la bande passante plus réduite utilisable, mais cela reste exploitable. On peut trouver des drones utilisant la bande des 169 MHz mais ils sont rares et réservés à des usages nécessitant des portées de télécommande importantes qui ne sont souvent pas compatibles avec la législation (en Europe, le pilotage des drones hors de la vue directe est très réglementé). Quant aux fréquences les plus basses réservées au radio modélisme, cela ne concerne plus que des machines utilisant des télécommandes analogiques à sens unique (sans retour de données) et souvent anciennes.

Pour les drones militaires, les contraintes sont identiques même s’ils peuvent utiliser bien plus de plages de fréquences. Néanmoins, la majorité des drones militaires travaillent sur des gammes de fréquences le plus souvent comprises entre 900 MHz et 6 GHz. Bien entendu, ici on ne parle que des drones ne disposant pas de liaisons satellites qui sont d’une autre catégorie. On peut aussi trouver des drones qui auront une liaison de données basse fréquence à faible débit suffisante pour piloter le drone sur de grandes distances avec, en parallèle, une liaison de données à plus haute fréquence et à haut débit chargée de redescendre les données des capteurs. Dans ce cas, lorsque le drone est trop éloigné, il faut accepter de ne plus bénéficier du retour d’information en temps réel.

Les lois de la physique imposent des règles qui font qu’il n’est pas surprenant que beaucoup de drones utilisent les mêmes gammes de fréquence. C’est pour cette raison que la majorité des solutions anti-drones de technologie radiofréquence proposent des solutions qui couvrent une bande de fréquence allant de 400 MHz à 6 GHz. C’est dans cette plage de fréquence que l’on peut obtenir le meilleur compromis entre portée de la liaison radio et débit de données. De rares cas peuvent nécessiter de devoir descendre en dessous de ces fréquences mais aucun ne nécessite encore de devoir monter au-dessus. Quand bien même un drone utiliserait des fréquences au-dessus de 6 Ghz, les contraintes physiques feraient que sa portée de télécommande serait limitée à quelques centaines de mètres ce qui présente un bien faible intérêt tactique.  Bien entendu, on trouvera toujours des fournisseurs prêts à proposer des solutions qui vont au-delà de 6 GHz, mais c’est aujourd’hui inutile. Cela augmente de manière très significative et non justifiée le prix d’un système qui ne l’exploitera de toute façon pas.

Si, en théorie, les drones peuvent utiliser une liaison radio fréquence à n’importe quelle fréquence, les réalités physiques font que les bandes de fréquence réellement utilisables sont bien réduites à quelques portions du spectre.