C’est quoi un drone autonome ?

Le drone autonome est la nouvelle martingale, l’acmé attendu d’une évolution qui, grâce à l’intelligence artificielle, doit en faire les « game changer » ultimes de la guerre. Seulement c’est quoi un « drone autonome » ? Quels sont les concepts qui se cachent derrière cette définition qui ne dit pas grand-chose ? Quelles sont les implications opérationnelles et, au niveau de la lutte anti-drone, qu’est ce que cela engendre ?

Les limites du drone autonome fantasmé

Dans l’imaginaire de la majorité des personnes, « drone autonome » signifie un drone qui effectuerait sa mission sans la moindre interaction avec l’homme. Ce serait un appareil qui, grâce à son intelligence artificielle, pourrait effectuer des missions de reconnaissance en repérant tout seul les éléments intéressants, ou encore serait capable de délivrer une munition ou de se jeter, pour les « drones suicides », sur une cible qu’il aurait lui-même détectée, classifiée et identifiée.

Seulement ces drones là n’existent pas [1] car leur intérêt est en réalité très limité.

Drone KARGU 2
Drone KARGU 2 accusé, à tort, d’avoir tué de manière autonome

Dans le cas des drones de reconnaissance, l’intérêt d’un drone est justement de pouvoir délivrer l’information qu’il capte le plus rapidement possible. Les drones sont essentiellement utilisés pour un usage tactique, au profit des forces au contact, pour surveiller, détecter et cibler les forces opposées. Il n’est pas possible de prendre à partie une unité adverse mobile (chars, artillerie, troupes….) si on n’est pas informé, dans l’instant, de sa position. Cela implique, non seulement, de recevoir en temps réel le flux de renseignements mais aussi d’être capable de modifier, dans la foulée, la trajectoire du drone et de pouvoir piloter sa charge utile en fonction de l’environnement (par exemple zoomer sur une zone d’intérêt particulière).

Un drone de reconnaissance qui effectue sa mission et délivre le renseignement à son retour est uniquement à visée stratégique ; c’était le cas pour les drones des années 1950, 60 et 70 comme les TU-141, TU-123, BQM-34A, Model 147… Ces drones naviguaient selon des plans de vols préprogrammés avec une centrale inertielle, pas besoin d’intelligence artificielle ni de navigation par satellite pour les faire évoluer de manière totalement autonome. Ces drones ont disparu à mesure que les satellites de reconnaissance ont été déployés. Les satellites présentaient l’avantage d’être bien moins vulnérables, de couvrir des superficies bien supérieures et surtout de pouvoir survoler n’importe quel point du globe sans risquer l’incident diplomatique.

Drone américain BQM-34A (1952)
Drone américain BQM-34A (1952)
Drone soviétique TU-141 (1979)
Drone soviétique TU-141 (1979)

Dans le cas des drones d’attaque ou des drones suicides, même si la technologie (IA, machine learning…) permettait, en théorie, de réaliser des drones capables de détecter, classifier, identifier et engager des cibles en autonomie, cela poserait plusieurs problèmes. D’abord, le risque d’erreurs demeure (très) important, ce qui peut poser des problèmes juridiques quant au respect des « lois de la guerre » ou même exposer à des tirs fratricides. Ensuite, les intelligences artificielles restent relativement faciles à leurrer : ce type de drones pourrait être facilement neutralisé par la présence de leurres qui les détourneraient des vrais objectifs. A côté de ces obstacles, se pose aussi la question du retour d’information. Il est extrêmement important de savoir si les engins envoyés ont trouvé des cibles (et d’en connaître le nombre et le type), s’ils ont été abattus par l’ennemi, s’ils ont eu un problème technique, s’ils sont tombés faute d’autonomie de vol etc. Envoyer dans un secteur des drones de ce type sans aucun retour d’information ne présente pas réellement d’intérêt car, au final on n’aura rien appris de plus sur l’adversaire, sur ses forces, ses pertes éventuelles ou ses intentions. Évidemment, en théorie, la technologie permettrait de réaliser de tels drones.

Mais ce n’est pas parce que quelque chose est techniquement possible que c’est opérationnellement pertinent.

Comme pour tout équipement, on attend des drones que leur rôle opérationnel s’inscrive dans une organisation militaire générale : ils doivent donc répondre à certains besoins. Le drone qui se rapprocherait le plus du drone autonome, tel qu’envisagé dans l’imaginaire, est le drone israélien LANIUS[2] d’ELBIT Systems qui dispose de nombreux automatismes d’aide à l’opérateur (identification automatique des ennemis, capacité de reconnaissance des ouvrants etc.) mais il reste néanmoins totalement commandé par son opérateur (ordre de destruction, validation des cibles etc.).

Drone LANIUS d’Elbit Systems
Drone LANIUS d’Elbit Systems

Toutefois il existe quelques cas où la mise en œuvre de drones 100 % autonomes, sans action humaine, a un sens. Les livraisons en sont l’usage le plus évident : la machine n’a besoin de connaître que sa destination et son itinéraire, aucune autre fonction n’étant attendue de sa part. Les missions de cartographie ou de modélisation 3D peuvent aussi être effectuées en totale autonomie puisque aucun résultat immédiat n’est attendu. Pour autant, ces cas d’usage sont limités et surtout ils ne représentent pas une menace immédiate pour qui que ce soit. Le seul cas de « drone » totalement autonome qui peut représenter une menace est celui des machines, comme le Shahed-136 iranien ou le Samad-3 houthis, qui sont conçues pour aller frapper des objectifs fixes préprogrammés avant le départ. Néanmoins, leurs caractéristiques et leur cadre d’emploi en font davantage des missiles de croisière à l’image des BM-109 Tomahawk, des KH-55 ou des SCALP-EG que des drones à proprement parler. Ce point est particulièrement évident concernant les vieux drones de reconnaissance Tu-141 qui ont été convertis en missiles de croisière par les ukrainiens.

Utiliser et détourner des technologies issues du monde des drones ou de l’aéromodélisme ne signifie pas que le résultat appartiendra à la même catégorie.

Drone autonome : en quoi ?

Pourtant, pratiquement tous les constructeurs de drones parlent de « drone autonome » mais la définition qu’ils en ont est assez éloignée de celle, fantasmée, du grand public. Dans la plupart des cas, l’autonomie du drone ne touche que certaines fonctions particulières. C’est souvent la fonction pilotage qui est concernée. Le métier de télé-pilote est sans doute amené à disparaître dans les années à venir tant les efforts des constructeurs se sont portés sur la facilité de mise en œuvre des drones. Alors oui, de ce point du vue, de plus en plus de drones sont bien autonomes pour voler : il suffit de leur dire où on veut aller, si on veut monter ou descendre, les algorithmes de pilotage se chargeant de traduire les ordres en temps réel sur les commandes de vol et les moteurs afin d’arriver au résultat demandé. Souvent l’opérateur n’a pratiquement à gérer que la charge utile (tourner la caméra, zoomer, régler les capteurs etc.).

D’autres fonctions sont automatisables, comme le suivi de piste (maintenir la caméra sur un objet) ou la poursuite (pour les drones « suicides »), les manœuvres d’évitement automatique ou encore la capacité à évoluer automatiquement dans des espaces fermés. En partant de ce principe, pratiquement tous les drones peuvent se prétendre plus ou moins autonomes sans que cela signifie pour autant que l’homme n’est plus dans la boucle.

Le mot « autonome » est devenu un argument de communication marketing tout comme l’intelligence artificielle ou le « quantique ».

Quel impact pour la lutte anti-drone ?

Quel que soit le niveau d’autonomie des drones, cela n’a pas d’impact réel sur les différentes techniques pour les détecter ou le neutraliser. Chaque solution garde globalement ses avantages et ses inconvénients, la réponse miracle n’existant pas. En dehors des quelques cas particuliers, comme les drones de livraison ou de cartographie qui, eux, pourraient ne pas être détectables en radio fréquence faute de liaison de données, la majorité des drones resteront détectables par cette technique.

Le degré d’automatisation des drones n’a pas d’impact réel sur les communications associées et donc sur leur détectabilité en radio-fréquence.

La seule différence est que le brouillage ne fera peut-être plus tomber les drones, l’automatisation se chargeant de garder le contrôle du vol, mais il continuera d’entraver la mission. Un drone comme le LANCET russe, ou le SWITCHBLADE américain, se trouve dans l’incapacité d’exécuter sa mission si l’opérateur est privé du retour vidéo puisqu’il ne peut plus désigner de cible. Même chose pour les drones de reconnaissance qui perdent toute utilité s’ils sont dans l’impossibilité de renvoyer en temps réel ce qu’enregistrent leurs capteurs. Même si cela ne détruit pas la menace, cela continuera à la neutraliser. L’arrivée des essaims de drones ne devrait pas changer ce constat car ces appareils auront tout autant besoin de transmettre leurs renseignements et, en plus, ils devront aussi communiquer entre eux pour réellement se structurer en essaim. Perturber les moyens de communication contribuera non seulement à couper le retour du renseignement mais aussi à la destructuration de l’essaim en lui-même.

Le cas des machines comme le Shahed-136 ou le Samad-3 doit être traité comme celui des missiles de croisière, avec les moyens de défense sol/air traditionnels, même si ce type de réponse n’est pas idéal non plus compte tenu du très fort différentiel de coût en faveur de ces équipements par rapport à celui d’un missile anti-aérien.

Le drone 100 % autonome existe bien mais, soit il est conceptuellement périmé (reconnaissance), soit il se voit attribuer des missions qui ne représentent pas de menaces directes. Dans la très grande majorité des cas, la menace représentée concrètement par les drones voit systématiquement l’homme rester dans la boucle, quel que soit le niveau d’automatisation dont dispose la machine. Il ne faut pas opposer autonomie et communication des drones, les deux ne sont pas liés. L’autonomie donnée vise une simplification de la mise en œuvre des drones tandis que les communications sont liées aux missions qui leur sont attribuées et aux besoins afférents. Donc, non, les drones autonomes ne sont pas un « game changer » qui remettrait fondamentalement en cause les techniques de lutte contre les drones telles qu’elles existent aujourd’hui. Cela ne signifie pas que la problématique soit complètement maîtrisée, beaucoup de défis restent à relever quant à la détectabilité des drones et aux techniques de neutralisation, surtout pour intégrer la prise en compte de cette menace, à très faible coût, dans une défense sol/air intégrée.


[1] https://www.thedrive.com/the-war-zone/these-israeli-urban-battlefield-assassin-drones-are-nightmare-fuel

[2] https://cf2r.org/rta/un-drone-suicide-autonome-a-t-il-tue-de-sa-propre-initiative-en-libye-en-2020/

26/01/23 – Article rédigé par Olivier DUJARDIN